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A peine tatoué autour de ses yeux boursouflés, ne portant aucune mutilation rituelle à part un trou percé sous sa lèvre inférieure évoquant une seconde bouche, le guerrier Yuuzhan Vong était sans aucun doute une jeune recrue. On lui avait certainement assigné ce poste à l’avant-garde en sachant très bien que sa mort ne causerait pas une grande peine. Priant pour que les ombres du tunnel soient assez obscures pour la dissimuler correctement, Jaina se servit de la Force pour s’aplatir encore plus le dos contre le plafond. Elle retint son souffle lorsque le guerrier parcourut en rampant un mètre de plus à l’intérieur de la cavité. Tenant un cristal lambent actif à bout de bras, il se servit de son bâton Amphi pour sonder le sol juste en dessous de la jeune femme. Jaina distingua la tête reptilienne de l’arme. Elle en déduisit que sa propre silhouette devait, elle aussi, être visible. Mais le Yuuzhan Vong ne releva pas la tête. Il se contenta de plisser le nez en raison de l’odeur nauséabonde qui régnait dans le tunnel et battit en arrière. Lorsqu’il regagna l’embouchure, il se releva et cria « Fas ! » avant de continuer à marcher dans le passage principal.
Jaina demeura à sa place, observant par l’ouverture le défilé des jambes parées d’armures de crabe vonduun, espérant que la prochaine chose qui viendrait fouiner dans le tunnel ne serait pas un voxyn. Ils avaient déjà abattu quatre de ces créatures – Lowbacca avait désintégré le dernier lors du conflit survenu sur les éboulements –, mais la possibilité que Nom Anor en ait amené d’autres avec lui subsistait et c’était là le réel point faible dans le plan du commando. Les Yuuzhan Vong pourraient effectivement manquer le tunnel par lequel les Jedi s’étaient enfuis, mais pas un voxyn. Un voxyn détecterait le changement de direction des fugitifs.
Un deuxième Yuuzhan Vong, cette fois arborant les scarifications et les lobes d’oreilles découpés d’un vétéran, tendit son cristal lambent par l’ouverture du tunnel. Comme la plupart des Jedi du commando, Jaina avait caressé l’idée de s’emparer de l’un de ces cristaux. Mais le jeu n’en valait probablement pas la chandelle. Le lien qu’entretenait Anakin avec le sien était unique, sans doute parce que le jeune homme avait supervisé de très près le développement de l’étrange roche. Il était d’ailleurs lui-même incapable de dire si reproduire ou non un tel exploit était du domaine du possible. Effectivement, personne dans le Programme Eclipse n’avait été en mesure de deviner comment ces choses se reproduisaient et se développaient. Cette fois, le guerrier inspecta autant le sol que le plafond. Heureusement, il ne s’engagea pas dans le tunnel. Il se releva et reprit sa marche avec les autres.
S’autorisant un réel soupir de soulagement, Jaina décrocha une mine fléchette de son harnais d’équipement. Elle en régla le signal sur la fréquence de leurs comlinks et la ficha dans le plafond juste devant elle. En revanche, elle ne pressa pas la commande d’activation. Une fois qu’elle aurait réglé le détonateur sur « détection de mouvement », elle ne disposerait que de trois secondes pour quitter la zone du capteur sensible. C’était un risque qu’elle ne pouvait pas prendre tant que les Yuuzhan Vong étaient encore dans les parages.
Le détachement mit ce qui parut une éternité à défiler. Sans l’aide de leurs voxyns apprivoisés, susceptibles de leur signaler la présence des Jedi, les Yuuzhan Vong se déplaçaient avec prudence, marchant l’un derrière l’autre avec cinq mètres d’écart, cherchant d’éventuels pièges. En dépit de la situation, le commando était toujours d’attaque, vivant, mobile et – grâce à l’aide de la Force – capable de détruire la reine voxyn. Si Anakin avait été en meilleure santé, Jaina aurait déjà considéré tout ceci comme une victoire.
Ses sentiments à l’égard de son frère passaient alternativement de la crainte à la colère. Elle ne pouvait pas décemment blâmer Anakin d’être venu à son secours – elle en aurait fait de même pour lui ou pour Jacen –, mais elle lui en voulait néanmoins. Anakin avait encore fait preuve de son imprudence légendaire. Son action avait été spectaculaire, brutale et efficace. Et parfaitement dingue. Tekli n’avait fait aucun mystère de ce qui se produirait si le commando ne trouvait pas de temps à accorder à Anakin afin qu’il plonge dans une transe curative. Anakin, de son côté, n’avait fait aucun mystère de ce qui se produirait si on continuait ainsi à considérer que sa santé était plus importante que le succès de la mission. Jaina était bien déterminée, tant qu’elle le pouvait, à considérer les deux à parts égales. Mais quand viendrait le moment de choisir… Elle n’avait que deux frères et n’avait certainement pas l’intention d’abandonner l’un d’entre eux derrière elle.
Jaina sentit Jacen la contacter mentalement. Elle découvrit que, plus loin dans le tunnel, les autres venaient de rencontrer leur premier voxyn sauvage. Elle s’ouvrit au lien psychique et fut soulagée de constater que la blessure d’Anakin avait renforcé l’union du groupe. Zekk était cependant toujours perturbé par la présence des Jedi Noirs, mais les autres s’étaient unis pour se soucier de concert de l’état de son jeune frère. Inquiète que le bruit d’un combat puisse résonner jusque dans le passage principal, elle forma dans son esprit l’image de quiétude chère aux temples Massassi et projeta ce silence tout autour d’elle, espérant créer ainsi une sphère de calme dans le tunnel qui isolerait les membres du commando de leurs adversaires.
D’autres jambes parées de plaques d’armure en crabe vonduun passèrent devant l’extrémité de la cavité. Puis deux autres jambes, plus minces et articulées vers l’arrière, passèrent à leur tour. Elles marquèrent une pause et se plièrent sur elles-mêmes. Un torse couvert de plumes se matérialisa à l’entrée. Jaina dut se calmer, de peur que les battements de son cœur ne rompent la sphère de silence. Un visage simiesque, avec des yeux en amande et de délicates moustaches, se dessina au-dessus des plumes du torse et inspecta l’intérieur de la caverne.
Vergere. Ou bien quelqu’un de son espèce.
Une présence inconnue effleura l’esprit de Jaina. Celle-ci en fut si surprise qu’elle perdit momentanément sa concentration et manqua de se décrocher du plafond. Elle recouvra ses sens et se renfonça dans sa cachette, dégainant son blaster pour le pointer en direction de la figure de Vergere.
Un sourire malin se forma sur les lèvres de la drôle de créature. Jaina comprit que Vergere lui avait sciemment envoyé une onde mentale. Mais comment ? Par le truchement de la Force ? Cela ne semblait guère plausible. Si Vergere était effectivement capable de maîtriser la Force, les voxyns se lanceraient également à ses trousses, non ?
Plusieurs autres paires de jambes en armures de crabe vonduun se rassemblèrent à l’embouchure du tunnel. La barrière de silence empêcha Jaina d’entendre ce que disaient les Yuuzhan Vong, mais elle ne douta pas un seul instant que Vergere l’avait effectivement repérée, même si elle ne l’avait pas réellement vue. La présence étrangère se manifesta à nouveau dans son esprit, se moquant d’elle, l’obligeant presque à attaquer, Jaina activa la mine fléchette et se glissa prestement en arrière dans le tunnel, hors de portée des capteurs. Le sourire de Vergere céda la place à un petit rire espiègle. La présence inconnue dans l’esprit de Jaina disparut de façon si soudaine que la jeune femme commença à se demander si elle ne l’avait pas tout simplement imaginée.
Vergere s’adressa à quelqu’un qui se trouvait derrière elle. D’un coup de pouce, Jaina désactiva le cran de sûreté de son blaster. Mais le drôle d’oiseau détourna les yeux et se remit à sautiller dans le passage principal avant même qu’elle n’ouvre le feu. Les Yuuzhan Vong la suivirent. Quelques instants plus tard, même le souvenir de l’étrange présence s’évanouit à son tour.
Jaina baissa son blaster. Elle tremblait tellement qu’elle dut utiliser ses deux mains pour remettre le cran de sécurité en place. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était si effrayée. La créature ne savait certainement pas qu’elle était devant elle, cachée dans le tunnel.
L’autre extrémité du passage creusé par les voxyns s’ouvrait sur un grand corridor. Il mesurait environ six ou sept mètres sous plafond et était suffisamment large pour laisser le passage à des aéroglisseurs. Cependant, l’endroit était toujours aussi humide et sentait toujours aussi mauvais. Depuis la minuscule zone éclairée par le bâtonnet lumineux que venait d’activer Jacen, le corridor, de part et d’autre du groupe, disparaissait en courbe dans les ténèbres. Le mur qui faisait face à la cachette du commando était percé de deux arches, distantes de vingt mètres l’une de l’autre, et assez grandes pour accueillir un rancor. Entre ses arches s’ouvraient des alcôves ogivales, assez hautes pour qu’un Wookiee puisse s’y tenir debout, qui contenaient toutes des statues de Yun-Yammka, le dieu de la guerre Yuuzhan Vong, avec sa tête globuleuse et ses multiples tentacules. Au-dessus de chaque alcôve s’ouvrait une autre alcôve, vide, avec la pointe de l’ogive tournée vers le sol.
Quelque temps auparavant, Lomi leur avait expliqué que le vaisseau-monde tournait autour d’un axe, créant ainsi une pesanteur artificielle par la seule action de la force centrifuge, comme c’était le cas sur les vaisseaux de plus petite taille. Il arrivait cependant, au cours des voyages entre les galaxies, que le cerveau central perde de son aptitude à contrôler la rotation. Cela causait des dégradations à la surface et déstabilisait complètement le système de gravitation artificielle. Les laborantins avaient recours à une puissance gravifique induite par des basals dovins spéciaux pour orienter le vaisseau. On avait donc procédé à des aménagements à l’intérieur pour s’accommoder du sens de déplacement de l’engin. On trouvait encore çà et là, comme c’était actuellement le cas pour le corridor dans lequel ils étaient cachés, quelques vestiges de ces aménagements.
Entre les arches résonnaient les bruissements incessants des écailles et, plus occasionnellement, le grondement d’un voxyn.
Jacen sentit que près d’une douzaine de ces créatures demeuraient tapies dans les ténèbres, juste en bordure du halo de lumière. Elles semblaient aussi patientes que des araignées d’épice, mais beaucoup, beaucoup plus dangereuses.
– On dirait l’extérieur d’une arène, chuchota Anakin, allongé sur le sol du tunnel, juste à côté de Jacen. D’une très grande arène, même.
– Ou bien d’un temple, suggéra Lomi. (Elle et Ganner étaient accroupis juste derrière les deux frères. Tesar et Krasov se tenaient à quatre pattes juste à côté d’eux. Les autres membres du commando attendaient, encore dissimulés dans le tunnel.) Si Jacen peut se servir de son pouvoir pour nous dégager le corridor, on pourrait peut-être se glisser…
– Non, on ne peut pas, l’interrompit Anakin. A un moment ou à un autre, il faudra bien se battre. Combien sont-ils, Jacen ?
– Beaucoup trop nombreux.
Jacen n’arrivait pas à détecter chaque créature de façon individuelle afin d’en recenser le nombre exact. Mais il sentait bien qu’elles étaient cachées dans les ténèbres, par-delà les arches, éparpillées sur les pentes d’une dépression concave qui devait bien mesurer un kilomètre de diamètre. Il ressentit chez les monstres cette même détermination à défendre leur territoire qu’il avait déjà décelée chez d’autres espèces. Mais leur détermination frisait presque le fanatisme, un dévouement désintéressé qui lui était presque familier.
– Des nids ! (Les grandes lignes d’un plan commencèrent à se dessiner dans l’esprit de Jacen.) Ce sont leurs nids qu’ils défendent !
– Des nids ? demanda Lomi. Qu’est-ce que des clones peuvent bien…
Anakin leva la main pour lui intimer l’ordre de se taire.
– Laissez Jacen se concentrer.
– Pas trop longtemps, annonça Ganner, quelque part derrière. Tôt ou tard, Nom Anor va bien finir par découvrir que nous lui avons faussé compagnie.
Jacen se focalisa sur les voxyns qui se trouvaient juste de l’autre côté du corridor. Il ne perçut aucun instinct de protection, ni même de faim. Il sentit quelque chose qui ressemblait plus à de l’envie. Il projeta son esprit sur les créatures, l’une après l’autre, et ressentit le même désir. Il comprit qu’il avait deviné juste. Il recula dans le tunnel pour s’adresser à Tesar et à Krasov.
– J’ai une idée…
– D’accord, gronda Tesar. Bêla en serait très honorée.
– D’accord pour quoi ? demanda Welk, regardant les Jedi un à un. Comment se fait-il que personne ne finisse jamais sa phrase chez vous ?
– Pas le temps, dit Ganner. Allons-y. Les Yuuzhan Vong ont dû deviner que nous avons disparu.
Jacen l’ignora et demanda à Krasov :
– Est-ce que tu comprends…
– Elle a donné sa vie pour les Jedi, dit Krasov. (Elle et Tesar s’écartèrent un peu sur le côté, puis soulevèrent le cadavre de leur compagne de portée en lévitation, avant de le glisser devant eux.) Son corps ne signifie plus rien.
Ils frottèrent brièvement leurs museaux contre celui de la défunte, puis débarrassèrent Bêla de son harnais d’équipement et de sa combinaison pressurisée. Tesar régla le retardateur d’un détonateur thermique de classe A sur quatre minutes et glissa l’explosif au fond de la gorge de sa congénère. Krasov colla le sabre laser de sa sœur dans la main de celle-ci au moyen de bandes de synthéchair. Puis les deux Barabel changèrent de place avec Lomi et Ganner et entreprirent de faire flotter le corps de Bêla dans le grand corridor.
Retenant ses larmes – et se demandant s’il aurait été capable du même acte avec le corps d’Anakin –, Jacen vit, terrifié, une douzaine de voxyns sauvages s’approcher dans le halo du bâtonnet lumineux. Les créatures commencèrent à pousser leurs attaques soniques et le jeune homme sentit ses protections auditives se sceller. Tesar se servit de la Force pour activer le sabre laser de Bêla. La lame trancha la gueule du premier voxyn qui s’était approché. Un deuxième sauta sur le cadavre et lui arracha l’un des bras à hauteur de l’épaule. Un troisième fit tomber le corps et commença à le piétiner.
Les autres voxyns se précipitèrent sur le troisième monstre, grognant et essayant de coincer ses pattes entre leurs dents. Certains commencèrent à entraîner leur congénère dans le corridor. La bataille se transforma en une mêlée vicieuse où fusèrent de nombreux jets acides. Petit à petit, les combattants les plus téméraires furent réduits à l’état de petits tas d’écaillés fumantes. Des voxyns plus prudents s’en prirent au corps de Bêla, de façon moins brutale, chacune essayant d’attraper sa part du trophée en s’agrippant à elle. D’autres monstres essayèrent de déloger ceux qui s’accrochaient à la Barabel et celle-ci fut traînée de l’autre côté du corridor jusque dans l’une des arches.
La bataille s’enfonça dans les ténèbres et le commando resta immobile à écouter les grondements et les sifflements des animaux sauvages se faire de plus en plus distants et étouffés. Enfin, la déflagration du détonateur thermique déchira le calme relatif. Un éclair brillant illumina brièvement l’intérieur de l’arche jusque dans le corridor. Jacen concentra son esprit sur les voxyns, leur adressant des pensées réconfortantes, leur assurant que la lumière ne se produirait plus. Les créatures qui avaient survécu à l’explosion – et il semblait qu’il y en avait beaucoup – répondirent à sa suggestion par des décharges soniques et des claquements de pinces. Petit à petit, elles se calmèrent et retournèrent à leurs nids.
Jacen vérifia qu’aucun voxyn ne les attendait, tapi en embuscade, puis emmena le groupe dans le grand corridor. La puanteur était si forte que même son masque n’arrivait plus à la filtrer. Il projeta les ondes de sa pensée pour demander à Jaina de le rejoindre et constata qu’elle était déjà en train d’approcher, inquiète, déconcertée, mais ne cédant pas à la panique.
Anakin rejoignit les deux Barabel et commença à s’entretenir avec eux à voix basse. Jacen savait que Tesar et Krasov se sentiraient plus gênés que réconfortés par des condoléances. Il préféra se tenir à distance. Anakin, en revanche, avait besoin de cette conversation avec les Barabel, pensant peut-être que ceux-ci comprendraient mieux que Jacen le désarroi dans lequel il se trouvait.
Jaina arriva enfin et, à l’insistance de Ganner, le commando se mit en route dans le vaste corridor. A contrecœur, Anakin laissa Tesar et Krasov assumer leur position habituelle à la tête du groupe, uniquement parce que tous deux paraissaient presque offusqués à l’idée que quelqu’un puisse prendre leur place. Tous les trente mètres, une autre arche s’ouvrait sur des ténèbres au fond desquels retentissaient de lointains bruissements d’écaillés. Même si Jacen confirmait à chaque fois qu’aucun voxyn ne se trouvait réellement à proximité des ouvertures, les Barabel ne préféraient prendre aucun risque. A chaque nouvelle arche, Tesar et Krasov escaladaient le mur et, fichant leurs puissantes griffes dans les parois pour se retenir, inspectaient les tunnels pour s’assurer qu’aucun piège ne leur était tendu.
Jacen rejoignit sa sœur jumelle.
– Tout va bien ? Tu sembles mal à l’aise…
– Effectivement, dit Tenel Ka, en venant marcher à côté d’eux. Il y a plus de rides qui barrent ton front que de plis sur la peau d’un Hutt.
– Super, merci, répondit Jaina. J’ai vu Vergere.
Jacen attendit un moment.
– Et ? finit-il par demander.
Les yeux de Jaina demeurèrent distants.
– Et rien… Elle est partie. (Elle pointa le menton vers l’avant du groupe.) Comment se débrouille le petit frère ?
Jacen se tourna vers la tête du commando, où Anakin essayait de marcher à grands pas aux côtés de Lowbacca. Leur frère était si puissant dans la Force qu’il leur semblait difficile de deviner combien sa blessure était en train de l’affecter et combien d’énergie il dépensait pour ne rien montrer de sa souffrance. Mais Jacen commençait à percevoir une certaine fatigue chez son frère, une fatigue qui était en train de ronger tout doucement cette façade vigoureuse que souhaitait afficher Anakin.
– Difficile à dire, répondit-il. J’ai un peu peur.
Jaina garda le silence et prit le bras de Jacen, à la grande surprise de celui-ci.
– Il ne faut pas avoir peur. Nous ferons en sorte qu’il ne lui arrive rien.
Tenel Ka prit l’autre bras de Jacen.
– Effectivement ! confirma-t-elle.
Anakin suivait Tesar et Krasov dans le vaste corridor. A chaque fois que les Barabel entreprenaient l’ascension d’une des parois pour inspecter l’intérieur des arches, il frissonnait. Ses efforts pour tenter d’expliquer combien il s’en voulait à propos de la mort de Bêla n’avaient fait que les surprendre. En retour, les deux êtres reptiliens s’étaient excusés auprès de lui pour toutes les pertes qu’avait subies le commando. Le jeune homme s’était senti encore plus coupable qu’auparavant et les Barabel vaguement offusqués par l’idée qu’on puisse songer qu’ils avaient besoin de réconfort. Rappeler aux compagnons de portée qu’ils devaient faire preuve de prudence était hors de question, mais la Force qui imprégnait l’immense chambre par-delà les arches était animée d’une férocité brutale. A tout moment, Anakin s’attendait à voir jaillir un vomissement bileux et brunâtre qui aurait raison de l’un de ses camarades.
Soudain, il perçut un flux de désir primal. Anakin alluma son sabre laser et, en même temps que tous les autres, poussa un cri de stupeur. Des mâchoires avides grandes ouvertes surgirent dans les ténèbres. Krasov siffla et se rejeta en arrière. Mais pas assez vite. Des crocs se plantèrent dans son masque respirateur et le lui arrachèrent de la tête.
Anakin fit un bond en avant en frappant le voxyn juste sous la mâchoire et exécuta un balayage en retour avant de lui trancher le museau. La créature eut un mouvement de recul. Tesar et Krasov se laissèrent retomber à terre et tranchèrent ses griffes acérées.
Ce qui restait de la gueule du voxyn commença à s’ouvrir. Krasov plongea sa lame blanche en travers de sa gorge, avant de se mettre à tituber, le visage couvert de mucus acide. Tesar invoqua la Force pour soulever le voxyn pendant qu’Anakin attaquait. Le jeune homme plongea sa lame violette dans la poitrine du monstre, exécuta un mouvement tournant et lui transperça tout le corps. Le voxyn mourut sur le coup et demeura suspendu dans les airs.
Le visage de Krasov disparaissait sous les vapeurs toxiques. Mais le crépitement de la kératine en train de fondre ne laissait planer aucun doute sur ce qui lui arrivait.
– Tesar ! éructa-t-elle. Mes yeux…
– Je suis là, Krasov…
Il lâcha son emprise sur le voxyn et la bête s’effondra, puis il aida Krasov à s’écarter de l’arche.
Un claquement sonore retentit dans les ténèbres. Anakin décrocha un détonateur thermique de son harnais d’équipement et le lança aussi loin que possible dans l’ouverture. Il entendit le sifflement caractéristique de l’arme, bientôt suivi par un éclair aveuglant. Il n’y eut aucune onde de choc, aucune vague de chaleur. La précision était un des atouts principaux du détonateur thermique. Tout ce qui se trouvait dans le diamètre de la déflagration était intégralement détruit. Tout ce qui se trouvait au-delà demeurait intact.
Lorsque Anakin sentit que plus aucun voxyn ne viendrait les attaquer à la porte, il se tourna pour appeler Tekli. Il découvrit qu’elle était déjà en train de s’occuper de Krasov, la guidant jusqu’à une anfractuosité du mur pour qu’elle puisse s’y asseoir. La Chadra-Fan commença à nettoyer la bile visqueuse avec la lame d’un multi-outil. De nombreuses écailles se détachèrent aussi.
Anakin détourna les yeux et ne dit rien. Il semblait que chaque nouvelle décision coûtait quelque chose à quelqu’un. Leur mission semblait leur échapper, devenir de plus en plus impossible à accomplir.
– On va avoir des ennuis…
Anakin entendit à peine les paroles de Jacen. Il ne voulait plus prendre de décision, il ne voulait plus causer la mort de l’un des siens.
– Anakin ?
Il sentit Jacen le sonder mentalement, pour savoir si le récent affrontement avait entraîné une aggravation de sa blessure. Ce n’était pas le cas. La douleur était encore supportable et la Force insufflait suffisamment d’énergie à Anakin.
Un bruissement étouffé s’éleva dans le corridor, provenant des deux directions à la fois.
– Par le sang des Sith ! jura Jaina. Ils reviennent !
Quelqu’un décocha un tir de blaster. Quelqu’un d’autre ouvrit le feu dans la direction opposée. La Force s’imprégna alors d’un désir sauvage et les voxyns investirent le corridor, coupant la route des deux côtés aux membres du commando. Le fracas des blasters devint assourdissant. Anakin dégaina son arme. Ce serait bien plus facile comme ça. Il fallait agir, sans prendre de décision. Tout ce qu’il avait à faire, c’était viser et presser la gâchette.
Anakin fit un pas en avant. Lowbacca le retint par l’épaule, indiqua l’une des arches qui se trouvait dans leur dos et gronda une question.
Anakin secoua la tête.
– Non, Tahiri peut monter la garde. Moi, je vais me battre avec les autres.
– Il vaudrait mieux que tu nous couvres, grogna Tesar. Pour la sécurité de Krasov.
– Mais je ne suis pas blessé à ce point, dit Anakin, suivant le Barabel qui avançait vers la mêlée. Je peux toujours me battre.
– Anakin ! Tu vas aller te planquer, oui ? dit Jaina en indiquant l’arche du canon de son blaster. Ressaisis-toi, tu veux ?
Même si sa sœur n’avait pas élevé la voix, les mots frappèrent le jeune homme avec la brutalité d’un coup de poing. Sa propre sœur ne voulait pas qu’il combatte à ses côtés. Avait-il tout fichu en l’air à ce point ?
Jaina rejoignit les autres dans la bataille. Anakin s’accroupit derrière le cadavre du voxyn et fixa le regard sur les ténèbres bruissantes, attentif au moindre changement de son, à la moindre perturbation dans la Force qui lui signalerait l’arrivée d’autres monstres. Même si Jacen était beaucoup plus réceptif que lui aux ondes produites par les animaux, il parvint tout de même à deviner que la plupart des voxyns qui se trouvaient dans les profondeurs de l’arche étaient assoiffés de sang mais sur la défensive, presque immobiles.
– Tu n’es pas obligé de te laisser donner des ordres, dit Tahiri, tombant à genoux à côté de lui, haussant le ton pour se faire entendre dans le vacarme de la bataille. Tu es toujours le chef de l’équipe.
– Tu parles d’un chef… dit Anakin.
Tahiri attendit plus d’une seconde avant de reprendre :
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je n’arrête pas de laisser les gens mourir.
– C’est un fait, les gens meurent. Mais qui dit que c’est de ta faute ?
– Moi, je le dis. (Anakin regarda en direction des combats.) Et eux aussi.
– Laisse tomber ! Ils ne veulent qu’une chose, c’est que tu nous fasses sortir d’ici. (Une grenade à fragmentation ébranla le tunnel. Une douzaine d’attaques soniques retentirent en réponse.) Et moi aussi ! Réfléchis à quelque chose. Et vite !
Tahiri l’embrassa et retourna au combat, blaster dégainé. Pour l’heure, la tornade de rayons laser parvenait à maintenir les voxyns en respect, mais cela ne durerait pas. Les choses changeraient bientôt. Plusieurs Jedi étaient déjà en train d’utiliser leur dernière cellule énergétique et, tôt ou tard, les voxyns lanceraient une attaque sur l’arche où se tenait Anakin. A moins que le commando ne décampe en premier.
Tesar gronda un juron, pointa son mini-canon sur un voxyn et invoqua l’arme de Krasov pour qu’elle atterrisse dans sa main tendue. Sa cible se rua vers sa tête en claquant des mâchoires. Raynar Thul intercepta la créature avec son sabre laser crépitant, pratiquant une ouverture de près de trois mètres de long dans les flancs du monstre. Le Jedi humain fit un bond en arrière et se retrouva dans le passage de la queue de la bête.
Le dard pénétra la combinaison de Raynar. Il tituba et battit en retraite dans les rangs des Jedi, tranchant au passage un bon mètre de la queue de la bête, laissant le morceau coupé pendre à son vêtement. Anakin se tourna pour appeler Tekli. Il vit que celle-ci se précipitait déjà, antidote en main.
Il fallait dégager de là. Le plus rapidement possible.
Anakin régla son bâtonnet lumineux sur la puissance maximum et le lança dans l’arche. Il invoqua la Force et maintint le bâtonnet en suspension. Les voxyns vomirent de l’acide sur la petite lampe, mais se calmèrent peu à peu en s’accoutumant à son éclat. Anakin dénombra plusieurs douzaines de créatures. Il ne devait pas y en avoir plus de cent. Elles étaient installées sur les gradins d’une vaste arène. La plupart étaient en train de se repaître des corps d’esclaves qu’elles avaient dû enlever dans la cité, s’épiant du regard, faisant crisser leurs écailles en signe d’avertissement.
Impossible de pratiquer la lévitation pour traverser l’immense hall. Les Jedi ne pouvaient pas voler, après tout, et la distance devait bien dépasser un kilomètre. Peut-être en pratiquant des acrobaties appuyées par la Force…
Jacen apparut aux côtés d’Anakin et, sentant les pensées de son frère dériver dans le lien psychique, regarda en direction de l’arène.
– On ne veut surtout pas les provoquer. Ils ne quitteront pas leurs… heu… leurs nids, tant qu’ils ne se sentiront pas menacés. Je peux peut-être parvenir à les convaincre de ne pas bouger du tout.
– Parfait, dit Anakin. Ce serait bien que, pour une fois, les choses se déroulent correctement.
Il se tourna et découvrit Ganner en train de se diriger vers une cavité creusée par l’acide des voxyns un peu plus loin dans le corridor, criant à tout le monde de s’y engouffrer. De peur de ne pas être entendu dans le vacarme des combats, Anakin activa son comlink.
– Bonne idée, Ganner. Mais mauvaise direction. (Il indiqua l’arche.) Par ici, plutôt.
– Dans l’arène ? demanda Jaina. Mais tu ne peux pas…
– Je me soignerai quand nous en aurons terminé, l’interrompit Anakin. (Il ne voulait pas que tout le monde se précipite dans un tunnel à voxyns au risque de s’y retrouver pris au piège.) Par ici !
Tesar Sebatyne fut le premier à acquiescer.
– A tes ordres ! (Il commença aussitôt à créer un barrage de laser avec son mini-canon.) En arrière tout le monde !
Lowbacca fit de même, de son côté, afin de protéger l’autre flanc des Jedi. Jacen ouvrit la marche et emmena le groupe dans l’arène. Il abandonna momentanément le lien psychique pour se concentrer sur les voxyns et leur adresser des pensées rassurantes. La créature la plus proche fit crisser les écailles de son cou et planta ses griffes, creusant ainsi de profonds sillons, dans la roche des gradins. Mais les voxyns restèrent dans leurs nids et n’attaquèrent pas.
Anakin poussa un soupir de soulagement et se tourna vers Krasov. Malgré le respirateur de Bêla qui lui couvrait en partie la figure, la chair avait disparu en bien des endroits, révélant de l’os et des crocs autour du masque. Anakin chercha Tekli des yeux et lui adressa une question silencieuse.
– Plus la peine, Petit Frère, dit Krasov d’une voix à peine plus audible qu’un râle. Autorise au moins cette Barabel à couvrir votre… retraite.
– Non, dit Anakin. Nous allons lancer un détonateur et…
– Trop tard. (Krasov ouvrit la main, révélant un détonateur thermique dont le déclencheur exploserait trois secondes après qu’elle aurait enlevé le pouce de la goupille.) Ça c’est beaucoup mieux…
Alema Rar passa en trombe devant eux, soutenant un Raynar Thul saisi de stupeur. Son état était dû à l’antidote, pas au poison. Anakin envoya Tekli après eux et donna un coup de main à Lowbacca pour renforcer le barrage de laser.
– Allez, Krasov, range ton détonateur, ordonna Anakin. (Une demi-douzaine de voxyns firent irruption dans le corridor. Il abattit celui de tête d’un trait de laser dans l’œil.) Krasov ?
– Krasov n’est plus. (Tesar lança une grenade à fragmentation au milieu de la meute. Lorsque l’explosion se propagea dans le tunnel, il tomba à genoux et pressa sa joue contre celle de Krasov. Il resta ainsi immobile jusqu’à ce que l’acide résiduel des blessures de sa congénère commence à ronger ses propres écailles. Il se leva prestement et montra la main de Krasov. Son pouce commençait à relâcher la détente.) Ce Barabel suggère que nous décampions au plus vite !